Dans un contexte d’agrandissement de la taille des élevages, plusieurs solutions sont possibles pour répondre à une charge de travail de plus en plus conséquente. Avenir Conseil Elevage, attentive à cette problématique depuis plusieurs années, y avait consacré ses Hivernales 2020 en s’appuyant sur une enquête menée auprès de 300 éleveurs fin 2019. L’une des pistes explorées est le recours à de la main-d’œuvre salariée. Elle nécessite néanmoins de développer ses compétences en management. Pour y aider les éleveurs, ACE propose désormais une formation « Manager au quotidien ». L’un des participants, Thomas Petit, éleveur dans l’Avesnois (Nord), partage ici sa vision et son expérience de la posture de manager.

Pourquoi avoir choisi d’embaucher un salarié ?

Lors de mon installation, mon projet était conçu pour travailler seul. C’est un problème de santé qui m’a amené à avoir recours à l’embauche d’une personne pour m’aider, d’abord en contrat à durée déterminée. Au cours de cette expérience, j’ai découvert un autre intérêt à la situation : de par le regard extérieur apporté et le partage que je pouvais avoir avec le salarié, je me sentais moins seul.

Ma volonté de m’organiser autrement pour libérer du temps pour la famille m’a finalement conduit à conserver cette organisation.

Comment s’est passé le travail ensemble au début ?

Mon salarié est chez moi depuis trois ans. Fils d’éleveur, il m’avait dit au départ qu’il avait tout à apprendre, ce qui laissait augurer une relation « plus facile ». Néanmoins, inexpérimenté en management, empli de croyances, sur l’exemplarité notamment, et peu sûr de moi au départ, je me suis surpris à me justifier par exemple quand je n’étais pas présent sur l’exploitation. Cette posture laissait la place au doute et a induit un changement de comportement de mon salarié qui est devenu plus facilement critique vis-à-vis de mes décisions ou mes choix. De mon côté, je multipliais les remarques à son égard, ne sachant pas comment dire les choses ou remettre le cadre. Ce qui nous amenait à travailler chacun de son côté pour éviter les frictions.

J’ai même un moment envisagé de revoir les besoins de mon exploitation et de baisser la voilure pour de nouveau travailler seul. Il faut dire aussi que les exigences administratives, les aménagements demandés dans le cadre des lois du travail ajoutés, à la peur de ne pas être en règle sur tout, me mettaient une pression sur le mental difficile à supporter.

Comment as-tu fait évoluer ta manière de manager ?

Aidé par la formation « Manager au quotidien », j’ai pris en compte la nécessité d’être plus présent et de travailler aussi avec lui. Je fais au mieux pour prendre du recul et ne plus être dans la réaction, et surtout je mets bien en évidence le sens de ce que l’on fait et ce que je cherche à atteindre car c’est rassurant pour lui.

J’ai également mis en place quelques points clefs en termes de communication : je lui fais des retours réguliers sur son travail. Je mets en évidence le positif et quand des ajustements sont nécessaires, j’ai changé ma manière de le dire. Dans ce cas, je lui montre comment je fais sans lui imposer : seul l’objectif à atteindre compte !

Au final, je suis moins touché personnellement qu’avant et je m’agace moins quand les choses ne sont pas faites comme je le souhaiterai. Je me garde de juger la personne et j’ajuste mes mots à mon comportement.

Cette posture a permis à chacun de se réaligner et de se sentir respecté.

Je ne m’oblige plus à être au travail en même temps que mon salarié, mais cela m’arrive d’aller voir si ça va quand on travaille séparément. Et surtout, tous les soirs on fait le tour de l’élevage et le point ensemble.

Tout ceci semble être consommateur de temps, et la rentabilité alors ?

La rentabilité économique n’est pas le seul facteur à prendre en compte dans ce type de choix. Embaucher un salarié est aussi un investissement pour entretenir sa motivation dans la durée et c’est là que la rentabilité se situe.

Je garde toujours en tête mon objectif de départ de pouvoir me libérer du temps à titre personnel en rendant mon salarié autonome pour m’absenter en étant serein. Il sait qu’il peut toujours m’appeler quand je ne suis pas sur place.

Le point journalier sur ce qu’il a observé dans chacune de ses tâches, l’échange et le partage sur les décisions à prendre en conséquence sont des plus-values qui impactent positivement les résultats techniques, et donc économiques, de mon exploitation. 

Que retires-tu de cette expérience ?

Je me souviens dans ma première expérience professionnelle en tant que salarié avoir entendu « on a l’équipe qu’on mérite ». Je m’aperçois que manager demande de se remettre en cause et qu’en situation de stress ou de fatigue, il est facile de retomber dans ses travers. L’essentiel est de garder toujours un œil bienveillant.

C’est aussi un plaisir pour moi de transmettre, cela me donne de l’énergie, et me préserve de la routine.

La souplesse que me donne la présence du salarié (quand je pars, le travail se fait quand même) va aussi me permettre d’aller plus loin en gardant le sens et la motivation nécessaires, et surtout en prenant en compte mes besoins dans leur globalité.

Manager, c’est entrainer, conduire, diriger et s’occuper de…
Un manager sait communiquer, motiver, encourager, organiser le travail, encadrer, être exemplaire, prendre de la hauteur et être juste tout en respectant ses propres besoins.

Evelyne Delalande, Accompagnement humain – Formatrice à ACE.