Fertilisation des prairies : Le tour des stocks avant le tour des paddocks !

Fertilisation des prairies : Le tour des stocks avant le tour des paddocks !

Dans un contexte d’approvisionnement toujours tendu, la tentation peut être forte de limiter voire supprimer les apports d’engrais sur les prairies. Certes, cette stratégie va permettre de réduire la facture et préserver la fertilisation des cultures de vente, cependant, elle comporte des risques à connaitre, à calculer et à prendre en compte lors de la prise de décision.

Le point de départ de la réflexion de la fertilisation sur prairie ne doit pas être uniquement celui de la facture d’engrais. La fertilisation doit permettre de produire une quantité d’herbe au bon moment. Cette « mécanique » implique donc de déterminer les besoins de fourrages et les périodes de pousse et de récolte qui correspondent à la conduite technique du troupeau.

Un rapide bilan fourrager prévisionnel est un point de départ adapté pour élaborer une réelle stratégie de fertilisation des prairies. Une fois les objectifs de production déterminés, il est nécessaire de planifier les modes d’utilisation de l’herbe (coupe précoce, pâturage, foin tardif…). Bien évidemment, il s’agit de plans prévisionnels qui seront très certainement à adapter aux conditions de pousse ; intégrer une marge de sécurité est raisonnable !

Déterminer les besoins : pas si évident…

Sur prairie, le calcul des doses de fertilisants dépend d’une multitude de caractéristiques particulières (flore présente, fourniture du sol, type d’exploitation, âge de la prairie…). L’analyse de sol et l’analyse foliaire permettent de bien paramétrer la situation :

  • La première permet de vérifier le pH et la capacité d’échange cationique, paramètres importants pour le raisonnement et les futurs apports de fertilisants organiques et minéraux. Un sol pauvre en calcium présente un risque de séquestration de la potasse.
  • La seconde permet de mesurer la disponibilité en phosphore (P) et potasse (K) du sol et l’aptitude de la prairie à prélever ces éléments minéraux pour son développement.

Les rejets des animaux au pâturage garantissent souvent un niveau suffisant de P et de K, mais les parcelles de fauche éloignées de l’exploitation où les animaux ne pâturent pas ou peu présentent davantage de risque de carences. Une étude menée sur 150 parcelles dans l’Avesnois en 2019 par Avenir Conseil Élevage démontrait qu’une prairie sur deux connaissait une situation déficitaire en potasse. Dans ce cas, faire l’impasse d’un apport spécifique pénalise la production même si un engrais azoté est épandu.

La diversité floristique des prairies entraine une grande variation des besoins azotés. La proportion de légumineuses, qui fixent l’azote atmosphérique, peut permettre de réduire voire de supprimer les engrais azotés. Parmi les « meilleures » espèces, le trèfle blanc fixe jusqu’à 125 kg d’azote au bénéfice des plantes compagnes.

Le rythme et les modes d’exploitation (fauche, pâturage ou la combinaison des deux) entrainent aussi des variations de besoins. La fauche exporte de grandes quantités d’éléments minéraux, alors que le pâturage par les animaux en restitue une partie. Selon l’intensité du chargement et la durée de présence des animaux, ces restitutions au pâturage peuvent s’élever à jusqu’à 40 kg d’azote par hectare. 

Le premier apport

Il est conseillé d’apporter une fertilisation azotée lorsque la somme des températures en base 0°C depuis le 1er janvier a atteint 200°C. L’outil Date N’prairie d’Arvalis permet de connaitre précisément les cumuls de températures.

Cependant, outre la portance des sols qui doit être suffisante, la prairie doit être en mesure d’absorber et de valoriser les épandages. Un apport important trop précoce, alors que la flore prairiale est encore peu active, entraine des pertes. Il est alors préférable de reporter une partie de l’épandage. La fragmentation de la dose totale permet de mieux valoriser les apports.

De même, selon le mode d’exploitation, le premier apport peut être différé. De par son effet « activateur de croissance », il faut intervenir en priorité sur les prairies de fauche précoce (ensilage, enrubannée), puis les paddocks de pâturage, les foins à haute valeur alimentaire et enfin les pâturage et foins tardifs. Pour ces derniers, si l’objectif est d’obtenir un foin « grossier et fibreux » adapté à l’alimentation des veaux par exemple, l’apport d’engrais minéral n’est pas indispensable si le bilan fourrager est excédentaire.

Concrètement

Avec ces quelques éléments, nous percevons bien que l’apport d’engrais azoté sur prairie doit être raisonné à la parcelle ou tout du moins selon le type de valorisation prévue. Par exemple, sur une même exploitation, il n’est pas rare de trouver les 3 situations suivantes :

  1. Prairie faible potentiel (5 TMS) récoltée en ensilage, puis pâturée
  2. Prairie bon potentiel (10TMS) avec légumineuses, uniquement pâturée
  3. Prairie bon potentiel (10TMS) avec légumineuses, uniquement fauchée

Une fertilisation adaptée à l’expression du potentiel de production (il faut ensuite adapter aux besoins fourragers de l’exploitation) pourrait être la suivante :

  1. Prairie 1 : 110 unités d’azote (60 sortie hiver + 50 après fauche) ; P2O5 : 40 unités et K2O : 90 unités
  2. Prairie 2 : 120 unités d’azote (2 x 60 sur février-mai puis les légumineuses prennent le relai), P2O5 : 45 unités et K2O : 100 unités
  3. Prairie 3 : 160 unités d’azote (100 sortie hiver + 60 après première fauche puis les légumineuses prennent le relai), P2O5 : 70 unités et K2O : 250 unités

Une part de la fertilisation pourrait être apportée par l’épandage de lisier. Pour des raisons sanitaires, la prairie fauchée se prête très bien à la valorisation d’un épandage en sortie hiver qui fournira une partie des 100 unités et d’un complément après la première coupe.

La disponibilité en P et K peut nuire à l’efficacité de l’apport azoté. Dans une situation déséquilibrée un apport adapté peut être plus pertinent qu’une augmentation de la dose d’azote.

Les engrais de ferme

Les engrais de ferme sont de véritables engrais et amendements à valoriser pour limiter le recours à la fertilisation minérale. C’est pourquoi il est important d’ajuster au mieux le choix et la dose des amendements organiques ainsi que les périodes d’épandage. Pour estimer l’effet des éléments NPK d’un engrais de ferme sur une culture, il convient à la fois de connaître la dose épandue, sa composition ainsi que son coefficient d’équivalence minérale.

La technique d’épandage joue un rôle important dans la réduction des nuisances olfactives et des pertes d’azote ammoniacales. Le matériel doit alors permettre d’épandre au plus près du sol afin de diminuer les pertes.

Enfin, pour des raisons sanitaires, il est nécessaire de veiller au délai de retour des animaux au pâturage. Idéalement, les engrais de ferme sont à utiliser sur les prairies de fauche pour limiter les risques.

Cas concret

L’épandage sur une prairie de 20 m³ de lisier de bovins par hectare (contenant par m³ : 3,4 unités d’azote, 1,5 unité de phosphore et 3,6 unités de potasse) au printemps, apportera les éléments fertilisants suivant :

  • 41 unités d’azote (20 x 3.4 x coefficient d’équivalence 0.6)
  • 24 unités de phosphore (20 x 1.5 x coefficient d’équivalence 0.8)
  • 72 unités de potasse (20 x 3.6 x coefficient d’équivalence 1)

Ces éléments seront directement valorisés par la prairie !

Ce n’est qu’une fois le calcul des besoins et le plan prévisionnel de pâturage réalisés qu’il faut commencer à bâtir le plan de fertilisation et décider selon la disponibilité et le coût des engrais de la conduite à adopter. Pour aller plus loin, le principe du rendement marginal selon lequel la première unité d’azote épandue augmente davantage le rendement que la deuxième, et ainsi de suite jusqu’à ne plus faire progresser la production peut aider à décider de la conduite à tenir. En attribuant un coût à l’unité d’azote et un prix à l’herbe sur pied, vous déterminez le seuil de rentabilité de l’apport.