Le sexage pour progresser, mais pas pour compenser

Le sexage pour progresser, mais pas pour compenser

Les évolutions technologiques modifient les pratiques quotidiennes d’élevage. Depuis 10 ans, le sexage a profondément remis en question les réflexions de sélection et de reproduction des troupeaux. Cette technique est parfois utilisée de manière systématique, au point de ne plus se questionner sur son objectif initial, alors qu’elle présente tout de même un coût supplémentaire.

Vulgarisé à partir de 2009, le sexage des semences d’insémination consiste à sélectionner le sexe du nouveau-né avant la fabrication des paillettes. Même si cette technique présente quelques inconvénients (augmentation du prix de la dose, perte d’efficacité de la réussite de l’IA…), elle est appréciée par les éleveurs et s’est rapidement diffusée pour ses intérêts : choix des lignées à perpétuer et croisement pour augmenter la valorisation à la vente des veaux, facilité de vêlage car les femelles sont plus petites à la naissance, augmentation rapide du nombre de génisses pour répondre à l’augmentation du besoin de renouvellement…

Une rapide comparaison entre un système avec ou sans l’utilisation du sexage permet de comprendre l’intérêt économique qu’il peut présenter dans la valorisation des veaux. Cette simulation est réalisée à effectif constant, sans prendre en compte l’impact de la réponse génétique dans les années à venir.

Comparaison économique entre deux techniques de reproduction à effectif constant sans l’impact de la réponse génétique dans les années à venir.

Quel bilan de « 10 ans de politique du nombre » ?

La remise des résultats technico-économiques 2019 calculés par Avenir Conseil Elevage (plus de 400 élevages en Nord-Picardie) a été l’occasion de revenir sur 10 ans de politique du nombre.

Pour définir la politique du nombre, revenons au début des années 2000. La libération des quotas est en marche : augmentation progressive des droits à produire (1 puis 2% européen, accès aux transferts sans terre (TSST), assouplissement des règles de réduction des volumes et augmentation des plafonds lors de reprise d’exploitation…). L’augmentation des volumes se vulgarise et les éleveurs ont besoin d’y voir plus clair sur les moyens à mettre en œuvre pour répondre à cette évolution tout en restant performants économiquement. Ces questionnements légitimes ont conduit Avenir Conseil Elevage à développer la thématique de la « Politique du nombre ». Elle rassemble deux idées principales :

  • Pour répondre à l’augmentation des volumes, l’action la plus significative est l’augmentation des effectifs. Pour limiter les risques sanitaires, les éleveurs préfèrent y parvenir sans avoir recours à l’achat d’animaux. Pour augmenter le volume, il faut donc élever davantage de génisses qu’en rythme de croisière.
  • La vache est plus « efficace » en début de lactation, puisque c’est à ce moment que le rapport entre le lait produit et la quantité de matière ingérée (efficacité alimentaire) est le plus important. C’est à ce moment précis que la réponse aux concentrés distribués est la plus rentable. C’est pourquoi il est préconisé de réduire les intervalles entre deux vêlages et de limiter les durées d’engraissement et donc de sortie des animaux destinés à la boucherie. Le critère synthétique regroupant ces deux derniers est la prolificité, soit le nombre de vêlages par vache et par an.

La politique du nombre correspond à rechercher l’adéquation du nombre de vêlages pour obtenir un effectif de génisses adapté aux objectifs de production.

Premier constat : de 2009 à 2018, la production de lait par point de collecte a augmenté de 46%. Cette forte augmentation a été possible en adaptant les effectifs, en progressant sur le critère de reproduction et aussi en améliorant la productivité laitière. Ainsi, pour beaucoup d’éleveurs le sexage a été un des leviers actionnés pour augmenter rapidement l’effectif des génisses du troupeau.

Pour approfondir l’impact de cette utilisation « massive » de semences sexées, les résultats économiques ont été étudiés selon l’utilisation ou non de celles-ci.

*en 2009 ces élevages n’utilisaient pas encore le sexage mais l’ont mis en place dans les campagnes suivantes.

Cette analyse démontre une augmentation plus rapide des volumes produits dans les élevages avec sexage (49% contre 44%), tout en améliorant le produit viande (+ 6 € contre + 2 €). En revanche, sur la période étudiée, l’utilisation du sexage n’a pas permis d’exprimer davantage le potentiel génétique des animaux sélectionnés : la production laitière n’a que peu progressée (8,5% pour les éleveurs « avec sexage » et 7,5% pour les autres).

L’augmentation du nombre de génisses dans le troupeau et donc du renouvellement n’a pas permis d’améliorer de façon significative les critères de reproduction ou de qualité du lait. Pire, l’avance en génisses est pénalisée par des performances de mortalités plus médiocres. L’avantage acquis grâce au sexage a servi, pour une majorité des éleveurs, à combler les fuites ! Enfin, le sexage n’a pas permis de rattraper le retard sur l’efficacité économique pour produire 1 000 litres de lait (toujours 10 € d’écart sur la MB/1 000l). En moyenne, le sexage a donc permis d’augmenter l’effectif malgré des indicateurs pénalisants (mortalité, IVV, réformes subies…).

L’intérêt économique inhérent au sexage n’est pas à remettre en cause. Cependant, la finalité de l’utilisation de cette technique ne doit pas être détournée. Il est toujours plus profitable de corriger l’origine des fuites que d’y pallier a posteriori par l’utilisation du sexage. En d’autres termes, le sexage n’est pas une solution à un manque de renouvellement mais un moyen efficace pour augmenter rapidement l’effectif d’un troupeau. De plus, avec l’arrivée d’autres techniques, si les éleveurs qui contrôlent les risques de fuites couplaient le sexage avec un génotypage par exemple, l’augmentation du progrès génétique ne serait-elle pas décuplée ?

Nicolas Maréchal et Vincent Falys

Avenir Conseil Elevage