Hivernales 2020 - Simplifier son travail : un projet à construire

Hivernales 2020 - Simplifier son travail : un projet à construire

Les Hivernales d’Avenir Conseil Elevage abordent cette année la thématique du travail en élevage et 4 éleveurs de la région ont pris le temps d’y témoigner de leurs expériences et des solutions qu’ils ont choisies pour répondre à la problématique particulière du travail dans leur élevage.

  • Exploitation laitière individuelle
  • Main-d’œuvre : 1 UMO + 1 UMO (Délégation, bénévole, service de remplacement)
  • SAU : 123 ha, tout herbe
  • Elevage :
    • 440 0000 L
    • 100 VL
    • 188 animaux

Vincent Delargillière s’est installé en 2005 en GAEC avec ses parents sur une exploitation de 220 ha, dont la moitié en cultures de vente, et un quota de 600 000 litres de lait.  

C’était une exploitation classique avec des vêlages étalés sur toute l’année, un système libre-service, DAC ; on utilisait autour de 150 tonnes de concentrés sur l’exploitation, de la pulpe surpressée et de l’ensilage de maïs

Pourtant, il avait déjà en tête un autre modèle de production permettant de se passer de subventions, envisagé au travers de divers voyages et groupes de réflexion sur la mise en place de systèmes très simples et très durables. Il a été en particulier marqué par un stage de 6 mois en Nouvelle Zélande en 1999 sur une ferme faisant pâturer 700 vaches sur 190 hectares. Les vêlages étaient groupés en fin d’hiver et le lait produit avec une utilisation maximale de l’herbe. Tout était prévu pour produire à un coût le plus bas possible et optimiser la main-d’œuvre.

"Tous ces systèmes-là, ça ne m’attirait pas"

Le départ à la retraite de ses parents le conduit à réfléchir sur l’organisation du travail et plus largement sur son système de production. Les options du salariat et de l’installation d’un robot sont écartées. « Tous ces systèmes-là, ça ne m’attirait pas parce que pour moi c’était plus d’investissements, plus d’endettement et de pression indirecte sur mes épaules ».  Le retour imprévu de son frère sur l’exploitation apporte un élément supplémentaire à la réflexion. La logique aurait voulu qu’il remplace les parents dans le GAEC. Mais « le petit souci c’est que mon frère n’aime pas du tout la partie élevage, lui c’est plutôt la gestion des céréales, des oléagineux », domaine qui plaisait de moins en moins à Vincent. La décision est alors prise en 2016 de séparer la ferme en 2 :

  • l’une spécialisée en lait avec les prairies et 25 ha de terres labourables
  • l’autre en productions végétales sur 116 ha, avec un assolement et du matériel en commun.

UNE SIMPLIFICATION GRACE AU PARCELLAIRE

Cette étape franchie, Vincent souhaite aller encore plus loin dans la simplification sans perdre de vue l’équilibre économique de l’élevage. « J’ai choisi d’arrêter de faire du maïs ensilage et donc de convertir toute la ferme en système pâturant, en tout herbe ». Cela s’est fait progressivement. Au début, seulement 20 ha sont accessibles aux vaches. A partir de 2016, et pendant 2 à 3 ans, il discute avec 4 voisins pour réaliser des échanges de parcelles à l’amiable. Objectif : obtenir un parcellaire cohérent avec son projet, même au prix de la cession de « bonnes terres à céréales » contre des terres de prairie…

Il y a 2 ans, il a également l’opportunité de racheter 21 ha de prairies à moins de 500 m de l’exploitation. Au final, 52 ha sont accessibles très facilement pour les vaches et 25 ha sont situés de l’autre côté d’une route passagère. Vincent affirme que « la simplification s’est mise en place grâce au parcellaire ».

adapter la conduite à la pousse de l'herbe

En parallèle il a choisi d’appliquer le modèle vu en Nouvelle Zélande en regroupant les vêlages sur 2 mois ½ en fin d’hiver afin d’évoluer vers un système très saisonnalisé pour produire le maximum de lait au coût le plus bas possible sur la pousse de l’herbe. « La productivité vache a fortement baissé, de 7 à 8 000 litres de lait par vache à 4 500 à 5 000 litres, mais sans achat de concentrés », précise-t-il.

Sa laiterie, à laquelle il a pris le soin d’expliquer son projet, a bien compris sa démarche qui est en phase avec les demandes des consommateurs. (c) Image par Devanath de Pixabay

La dernière étape (en cours de réalisation) concerne la fertilité du troupeau. Toutes les vaches doivent être gestantes en 3 mois. Vincent a ainsi choisi de partir en croisement avec des géniteurs néo-zélandais sélectionnés pour le pâturage.

Une organisation du travail saisonnalisée

Grâce à ce système, pendant 3 mois de février à avril, il est « dans » les vêlages. « Je suis concentré sur une seule tâche, je n’ai pas à penser à mettre de l’engrais, je n’ai pas de chaleurs à surveiller. Je suis assez organisé et ça se passe bien même avec 10 à 12 vêlages par jour », indique-t-il.

Le mois de mai est consacré aux inséminations qu’il réalise lui-même avant de mettre le taureau avec les vaches jusque fin août. Son frère participe avec lui, en prestation de services, aux travaux des foins qui se cumule avec la période d’insémination. Il en délègue également une partie à une entreprise.

En septembre, il réalise des échographies et des Gestatests, tests de gestation dans le lait, afin de trier les animaux pleins ou pas. La difficulté est alors de se séparer des vaches qui ne sont pas gestantes, « il ne faut plus trop faire de sentiment », semble-t-il regretter.

traite
A partir de Noël et jusqu'au 15 février, la salle de traite est fermée. (c) ACE-2020

Ce système permet d’arrêter de traire juste avant Noël. « Le travail est très simplifié, pour une centaine d’animaux, j’ai environ une heure de travail l’hiver : pailler, mettre les rouleaux de foin et vérifier que tout va bien ».

A partir du 15 février, les fraîches vêlées commencent à sortir et fin février elles sont au pâturage nuit et jour. « Dès qu’une vache vêle, elle sort, l’objectif est qu’elle broute le maximum d’herbe. Seuls les animaux qui n’ont pas vêlé restent au bâtiment ». Tous les animaux à surveiller sont en bâtiment, ce qui permet un gain d’efficacité.

Et économiquement ?

Voilà un point qui peut poser question dans les choix réalisés par Vincent. « Je suis en dessous des 85% de production. Cela ne me gêne pas car je sais qu’économiquement la baisse des charges compensera largement la baisse de production laitière ». Il faut dire qu’en amont, le besoin d’EBE ainsi que la baisse des charges, en tenant compte au mieux des aléas susceptibles d’intervenir afin de sécuriser le système, ont été calculés. A l’heure actuelle la trésorerie de l’exploitation est plutôt satisfaisante.

Les investissements pour réaliser le projet ont concerné essentiellement les infrastructures pour allonger la période de pâturage. « J’ai investi dans des chemins et c’est pour moi l’investissement primordial. Si on n’a pas de bons chemins on ne peut pas envoyer ses vaches au près dans de bonnes conditions ». Sur 3 ans, environ 30 000 € ont été dépensés en chemin financés en partie grâce à des aides PCAE. Au total, ce sont près de 50 000 € qui ont été investis en ajoutant les abreuvoirs en béton pour 30 paddocks, les clôtures et le drainage de certaines parcelles. Un investissement destiné à être amorti sur une longue période et grâce auquel pas loin de 3 mois de pâturage ont été gagnés.

Calculer pour évoluer

« Le calcul de la marge brute est très important pour moi parce que ça permet de me situer, de savoir où on va et de voir si mes chiffres sont concordants par rapport aux collègues. Si on n’a pas des chiffres techniques et économiques clairement mis sur la table, on ne peut pas évoluer », dit Vincent.

Conscient qu’il n’y a pas un système unique, il invite ses collègues producteurs de lait à aller voir d’autres éleveurs et à « lever la tête du guidon ». Et de conclure : « c’est important au niveau équilibre de faire attention à la surcharge de travail, à l’endettement et à la course à l’investissement ».